•  Contestations, refus, insoumissions (1)


                Les actes de refus peuvent prendre de multiples formes. Ils peuvent émaner d’un groupe ou d’un individu isolé. Cela peut aller du simple agacement au discours circonstancié, argumenté, justifié. Mais les mots peuvent rapidement s’échauffer et devenir grinçants. Alors apparaissent les insultes, les menaces voire les coups.


                Le présent article propose un échantillon de comportements relevés au hasard des notes puisées au greffe de la commune. Voici tout d’abord quelques réactions pondérées, réfléchies, argumentées. Suivront, dans un second temps, d’autres que l’on qualifiera de plus frustes mais pas nécessairement dénuées de sincérité et de bon sens.


    8 décembre 1794. Les élus de la commune font part d’un certain agacement, voire d’exaspération face à des obligations en augmentation constante : ... le conseil général de la commune assemblé considérant que les officiers municipaux sont obligés journellement de ce déplacer pour les affaires de la République et qu’il n’est pas naturels de perdre son temps depenser son argent pour les affaires d’autruy, ont délibéré qu’il ne seroit rien alloué pour le déplacement, mais que l’on accorderait 3 livres par jour à celui qui seroit envoyé pour les affaires de la commune ou de la République pour leur nourriture...


                A cette époque, de fréquentes obligations et réquisitions venaient troubler la quiétude des villageois. Le pays était en guerre et avait d’énormes besoins dont les habitants faisaient les frais. Il n’est pas naturels de perdre son temps depenser son argent pour les affaires d’autruy... voilà une phrase qui aurait pu coûter cher si elle était tombée sous les yeux d’un responsable sourcilleux et avide d’intérêts.


    Dimanche 20 février 1791. Refus de soumission du bien de la chapelle St. Edme.


                Il existait autrefois une chapelle appelée chapelle St. Edme, aujourd’hui disparue dans l’église d’Harréville. Voici ce qu’en écrit Camille Lomon p. 209 : Cette chapelle fut fondée par Edme Habert, d’Harréville quelques années avant sa mort survenue à Bazoilles, le 2 janvier 1710.

                Elle avait été établie dans le collatéral de l’église St. Germain, du côté de l’hôtel de Notre-Dame-de-Pitié.

                La reconstruction de la nef, en 1785, et l’absence de tous documents utiles ne permettent pas de situer, aujourd’hui, l’emplacement exact de cette chapelle dans le plan de l’église.


                Le 14 mai 1790, un décret de l’Assemblée Nationale avait réglementé la vente des biens du clergé devenus biens nationaux. Suite à ce décret, les biens de la chapelle St. Edme furent visés par deux habitants de Goncourt qui étaient venus pour faire une soumission, c'est-à-dire une offre par écrit faisant suite à un appel d’offre fait par l’expert nommé par le directoire du district. Le 20 février 1791, les représentants de la commune s’opposèrent à la vente des biens par un texte argumenté : ... nous nous opposons a la soumission et vente des dit biens attendu que le titre de fondation de la ditte chapelle dont nous nous sommes fait représenter coppie, le titulaire de la ditte chapelle est obligé de payer une somme pour faire instruire les enfants des 5 pauvres familles du lieu, si mieu n’aime les enseigner par lui-même (à moins d’enseigner lui-même) ; appuiés sur les décrets de l’assemblée Nationale du 23 et 28 octobre dernier qui excepte de la vente des biens des établissements destinés à l’enseignement publique et aux soulagement des pauvres ...


                L’argumentation est intéressante car elle prend à rebours l’initiative de l’expert  en s’appuyant sur un décret de l’Assemblée Nationale qui excepte justement ce genre d’établissement dans la vente des biens. Le texte se prolonge par d’autres témoignages destinés à étayer l’argument principal. Il semble évident que la construction du texte provient d’un esprit rompu à ce genre d’exercice. Peut-être le chapelain lui-même, à savoir Hilaire Moutenot, procureur de la commune, dont la signature apposée à la fin est accompagnée de 22 autres.



                Et voici, pour terminer la première partie de cette thématique consacrée aux actes d’insoumission, un texte particulièrement touchant. Il s’agit du reniement en fin d’année  du serment du 23 janvier 1791 du curé Hutin.


                Le décret de l’Assemblée Nationale du 27 novembre 1790 enjoignit aux ecclésiastiques de prêter serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi, et, implicitement à la constitution civile du clergé. Beaucoup ayant refusé furent nommés réfractaires.


                Charles Joseph Hutin, curé d’Harréville prêta le serment le 23 janvier 1791 :... il a dit à haute et intelligible voix, je jure de veiller avec soin sur les fideles de la paroisse qui m’est confiée, d’être fidel à la Nation, à la loi et au Roy, et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l’assemblée nationale et acceptée par le Roy...



                31 décembre 1791. Le curé Hutin renie son serment.


                Ce jourd’huy 31 décembre 1791 est comparû au greffe de la municipalité de haréville Mr. Charle Joseph Hutin curé dudit lieu qui a dit qu’il y avoit longtems qu’il désiroit de s’expliquer avec son peuple au sujet du serment particulier qu’il a prété l’année dernière et qu’il ne peut plus tenir, que depuis ce temps il n’est point tranquile qu’il apprend tous les jours que ce serment à fait naître dans l’esprit et le cœur de beaucoup de personne des doutes, des inquietudes et à même occasionné des discours peu convenables sur notre sainte religion sur la validité de cès pouvoirs et de cès fonctions. Que pour calmer les allarmes il veut dévoiler ses intantions et ses sentiments ce qu’il a fait en ces termes. « Je veux vivre et mourir dans le sein et la foi de l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Je prête volontiers le serment civique comme tous bon citoyen, et comme vous l’avez prêtés vous-même qui est d’être fidel a la nation à la loi et au roi, de maintenir de tout mon pouvoir la constitution du royaume décretée par l’assemblée nationale et sanctionnée par le roy. J’i ajoute de veiller avec soin sur les fidels de la paroisse qui m’est confiée, mais je ne puis rien déroger à la puissance de l’église. J’excepte formellement tous les objets qui dépendent essensiellement de l’autorité spirituelle. Je veux être bon citoyen fidel à la patrie, mais préalablement je veux être bon chrétien fidel à Dieu et a l’Eglise » de tout quoi il à requis acte et transcription sur le règistre de laditte Municipalité Nevarietur (ne varietur : afin qu’il n’y soit rien changé) ce qui a été fait sous le seing dudit Mr. Hutin, des officiers municipaux et notables convoqué à ce sujet et présent et sous celui du secrétaire les ans et jours avant dits au greffe de laditte municipalité.


    Ont signé : C j hutin, curé d’haréville, mansui Gilbert, Etienne Bourdelois, N E henrion, Dominique létoffé, Nicolas Lironcourt, Nicolas Robert, Prudant Pierrot, françois messagé, N morey l’ainé, joseph habert, François Pierrot, Moutenot pdlc (= procureur de la commune), JBte Hubeaux greffier.


                Ce n’est pas un hasard si le curé Hutin a attendu le 31 décembre pour annoncer la nouvelle devant tous les responsables de la municipalité. (Le maire Jean Fouriot n’était pas présent). Elle marque la fin d’une année, mais également sa propre fin. Il avait alors 66 ans et savait que sous peu des mesures seraient prises contre lui et qu’il ne pourrait plus exercer son ministère, qu’une page se tournerait. Il faut imaginer le cas de conscience qu’a dû subir cet homme pendant toute une année au cours de laquelle il s’était abstenu de participer aux affaires municipales alors qu’il en était le président. Il faut imaginer la solitude qui a dû être la sienne alors qu’il était le chef spirituel et administratif d’une communauté qu’il sentait échapper à son autorité alors qu’il faisait la messe, baptisait, mariait et enterrait. Fidèle à ses convictions, incapable d’imaginer une autre manière d’opérer, il a préféré jeter l’éponge en sachant qu’un autre prendrait sa place et qu’il perdrait son crédit auprès de la population auprès de laquelle il était resté pendant 40 ans.


    Sources : AD 52, E dépôt 718 et registres municipaux du greffe de la commune.


                                                                                     Marcel Frantz


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