-
L'ALIMENTATION A HARREVILE AU XVIIIème SIÈCLE (Partie 2)
L’alimentation à Harréville au XVIIIème siècle. (Partie 2)
La pomme de terre
Après avoir évoqué la nourriture en général dans les campagnes et à Harréville au XVIII ème siècle, il a paru intéressant de s’attarder un peu sur le tubercule qui est actuellement un pilier de notre alimentation : la pomme de terre et de s’interroger sur ce qu’elle représentait pour les gens dans la seconde moitié du XVIII ème, voire avant dans notre région.
Tout le monde connaît l’histoire du champ de pommes de terre mal gardé pour susciter la convoitise des paysans et provoquer des vols afin que le bouche à oreille fasse œuvre de propagande, le tout savamment orchestré par Antoine Augustin Parmentier, agronome, pharmacien militaire qui avait obtenu du roi en 1785, année calamiteuse, 50 arpents (environ 1,7 ha) de terre mauvaise et inculte dans la plaine des Sablons du côté de Neuilly aux portes de Paris. Il connaissait les avantages de la pomme de terre importée du Pérou en Europe et cultivée en Italie dès le XVI ème siècle, en Alsace et en Lorraine au XVII ème, adoptée dans le Midi, en Anjou et dans le Limousin, mais repoussée dans le reste de la France. Pour plus de détails, voir les nombreux sites internet sur le sujet.
On pensait au XVIII ème siècle que la pomme de terre pouvait propager la lèpre, les mauvais plaisants s’en moquaient, les grands avaient peur de dégénérer et on s’en méfiait. On la considérait tout juste bonne à nourrir les pourceaux. En 1748, le Parlement en avait interdit la culture. Le mérite de Parmentier fut d’avoir prouvé et fait admettre, grâce à sa ténacité, que le tubercule était au contraire très sain et pouvait représenter un remède sérieux en période de disette. Dans l’Est de la France on en consommait déjà bien avant l’intervention de Parmentier. Voici par exemple un extrait de l’ouvrage de Guy Cabourdin (1) : La pomme de terre pénétra en Lorraine depuis la région de Bâle autour de 1600 ; la lente diffusion s’effectua d’abord dans les pays vosgiens qui gardèrent jusqu’à la Révolution une certaine avance en ce domaine. Le procureur Bourciez de Montureux parlait en 1715 « d’un fruit vil et grossier qui semble plutôt destiné à la nourriture des animaux qu’à celle des hommes... Ce fruit est devenu fort commun dans toute la Vôge surtout dans le temps malheureux que l’on vient d’essuyer ». Si la méfiance régna longtemps envers ce légume, la culture en était générale [...] Le médecin Didelot de Remiremont, affirmait pour 1788-89 en évoquant la misère du paysan : « Les pommes de terre, qui sont sa ressource et dont lui font leur principale nourriture pendant toute l’année, ont été gelées ». Mais elles restaient un aliment pour le peuple. Il évoquait également l’homme de la campagne en ces termes en 1788 : « habitué dès son enfance à vivre de gruaux, de navets, de carottes, de pommes de terre, de laitages »
Qu’en était-il à Harréville ? Les traces dans les registres communaux sont rares.
- Le 25 septembre 1790, le sergent ordinaire Hubert Drouot se présente au domicile de françois messagé meunier demeurant audit lieu et parlant à sa personne ledit Drouot lui auroit fait offre de recevoir un rezal de pommes de terre contenû en deux sacs qu’il avait fait porter chez lui...
(Le résal ou rézal était une ancienne mesure de capacité pour les grains, employée dans l’Est. A Uriménil (Vosges), le rézal de pommes de terre représentait 10 doubles (environ 200 litres), cf Lachiver M. (2).
- Le 9 septembre 1800, les citoyens de la commune ont recours aux pommes de terre qui ont manqués entièrement cette année.
- Le 15 février 1801, dans le contrat d’engagement d’un pâtre communal, il est spécifié que ce dernier recevra ¼ de pomme de terre de la part de tous ceux qui en cultivent (et qui mettaient leurs bêtes sous sa garde).
Il est intéressant de noter la précision ceux qui en cultivent qui laisse entendre que tout le monde ne la cultivait pas. Comment interpréter ce fait ? Méfiance, manque d’intérêt ou manque de terre ?
- Enfin voici un fait divers recopié dans son intégralité qui témoigne de la culture et de la consommation de pommes de terre par certains mais aussi de la dureté des mœurs et des êtres. Il met aux prises 3 hommes Hilaire Moutenot procureur de la commune et prêtre, Hubert Drouot sergent de ville, Charles Renaud domestique et la veuve Denis mendiante et ses enfants, pot de fer contre pot de terre. Ce jourd’huy 9 septembre 1790 je hilaire Moutenot prêtre et procureur de la commune sur la rumeur publique que l’on volait à la campagne les pommes de terre et que plusieurs avoient vù les enfants de la veuve Deny mandiante demeurante à haréville dans les cantons ou les dittes pommes de terre étoient emplantées, me suis transporté accompagné de hubert Drouot sergent ordinaire de la municipalité au domicile de la ditte voeuve Deny ou étant à notre arrivée la ditte voeuve et ses enfants ont soupsonnés le sujet de notre visite, et après avoir fait transporté par sa fille dans la cave de son domicile des pommes de terre cuitte et encore fumantes avant même que nous lui ayons annoncé le sujet de notre visite. Comme il étoit environ 6 heures et demi du soir et que la nuit approchoit, je l’ai sommé de nous conduire dans tous les appartements de la maison qu’elle occupoit. La ditte Deny soupsonant comme il est a remarqué par ses axtions le sujet de notre visite nous a dit que nous pouvions chercher et que nous ne trouverions point de pomme de terre, ayant veritablement chercher dans sa cuisine nous n’y avons rien trouvés, et lui ayant demandé si elle n’avait pas de cave elle a répondu que non, et sur ce le dit Drouot nous a dit qu’il y en avoit une ; nous nous y sommes transportés précédés de la fille de la ditte voeuve qui s’étant retirée dans un coin de la ditte cave cachoit avec ses juppes un plat et une assiette chargé de pomme de terre cuitte et encore fumantes ; le dit Drouot s’enétant saisis, nous sommes remontés à la cuisine ou je l’ai sommé présence dudit Drouot et de Charles Renaud domestique de prudent Antoine, de me déclaré s’il elle avoit un héritage*emplanté des dits fruits, elle a rèpondû que non. Sommé derechef de nous déclaré ou elle avoit eû les dittes pommes de terre, elle nous a dit que s’étoit une sienne nièce actuellement a Bourmont qui lui apportée de noncourt proche Neuchateau ce que j’ai pris pour un subterfuge d’autant plus que le dit Renaud m’a déclaré en présence du dit Drouot qu’aujourd’huy même il avoit vû les dits dénis (= Deny) au canton des pommes de terre ce qui a été cause que j’ai fait saisir les dittes pomme de terre par le dit Drouot qui les à transvasées toutes dans un plat de terre et lui ai fait apportées au présent greffe ou j’ai dressé procès verbal en sa présence pour valloir ainsi que de raison les ans et jour avant dit. Moutenot p.d.l.c (= procureur de la commune), hubert Drouot.
*Héritage, pièce de terre, bout de terrain lui appartenant.
Outre ce lamentable fait divers et toujours en rapport avec la pomme de terre, il n’est pas inintéressant de relever qu’il existait en 1790 à Harréville des cantons où les dittes pommes de terre étoient emplantées. Le peu de renseignements ne permet malheureusement pas de tirer des conclusions certaines sur la consommation des pommes de terre. Les réservait-on aux cochons ou étaient-elles consommées par une partie non négligeable de la population et non seulement par les plus pauvres ? Il est toutefois sûr que la position géographique de la région, assez proche de l’Allemagne a permis la culture assez tôt de ce tubercule et que sans attendre Parmentier, certains la consommaient en parfaite opposition avec la tendance relativement hostile de l’époque envers la plante.
Bibliographie :
1. Cabourdin Guy, La vie quotidienne en Lorraine aux XVIIe et XVIIIe siècles. Hachette 1984.
2. Lachiver Marcel, Dictionnaire du monde rural. Les mots du passé. Fayard 1997.
Registres communaux
-
Commentaires
1Nicolle BauerDimanche 16 Décembre 2012 à 18:08Merci pour cet excellent document..Répondre
Ajouter un commentaire