•  Abandon d’enfant

    1 partie


              L’exposé qui suit, un peu long, comporte deux parties. Il relate un cas qu’il faut espérer rare, celui de l’abandon d’un enfant par une fille mère. C’est le seul relevé dans les registres municipaux sur une période de 29 ans (entre le 8 juin 1788 et le 11 juillet 1817). Les responsables municipaux ont mené une enquête et ce qu’ils ont consigné donne au document une valeur historique qui mérite d’être connue.


    Quelques généralités. L’abandon pouvait être fait auprès de membres éloignés de la famille ou chez des étrangers après une entente verbale et le versement d’une somme ou d’une rente lorsque la famille de l’enfant disposait de moyens financiers.

              L’exposition d’enfant, considérée par la loi comme un crime, est l’abandon souvent anonyme. L’acte peut être proche de l’infanticide lorsque l’enfant est abandonné par terre, dans une rue ou dans le bois, sur un fumier etc... Mais en général, l’exposition s’accompagne d’un souhait de survie de l’enfant : c’est l’abandon à la porte d’une demeure riche, d’une église, d’un hôpital. Des « tours » ou « tourniquets » sont installés à cet effet à l’entrée des hôpitaux des enfants trouvés. [...] Il est difficile d’établir un rapport précis entre l’abandon d’enfants et l’illégitimité. Par contre, il certain qu’au XVIIIème siècle, la fréquence plus importante du recours à l’abandon est en rapport étroit avec les facilités offertes par les institutions existantes et avec la montée de la misère issue de la rencontre entre les conjonctures démographiques et économiques.

              En dépit de ces mesures, la mortalité des enfants abandonnés est considérable, provoquée par les mauvaises conditions de séjour dans les hôpitaux et celles de mise en nourrice.

              Ceux qui survivent sont, dans certains hôpitaux, mis au travail dès l’âge de sept ans, puis en apprentissage vers quatorze ans, parfois plus tôt. *



              Le 3 janvier 1790 naît Pierre, fils naturel de Marie Maret, fille majeure, demeurant à Harréville comme l’atteste le document ci-dessous.

     

     

     

              L’enfant a comme parrain Pierre Guillery, chaudronnier à Harréville qui a signé et comme marraine Marie Anne Morelle, qui déclare ne savoir signer, femme d’Augustin Guillery également chaudronnier à Harréville.


              Comme dans les cas évoqués dans l’article précédent, Marie Maret avait déclaré sa grossesse au greffe de la commune (cf le texte qui suit) mais cette déclaration n’apparaît pas dans le registre municipal. Le père de l’enfant était François Marot, ancien aubergiste.


    Le 19 mars 1790, le procureur syndic de la commune (c'est-à-dire le représentant communal du pouvoir judiciaire), l’abbé Moutenot, fait une requête auprès des représentants de la municipalité pour la comparution de Marie Maret et trois autres personnes à propos de la disparition de son enfant.

              A messieurs les officiers de la Municipalité de la communauté d’hareville sur Meuse.

    Remontre le procureur de la commune que Marie Maret fille majeure demeurant à haréville seroit accouchée au mois de janvier dernier d’un enfant procrée selon sa déclaration faite en votre greffe dans le courant de l’année derniere des œuvres de françois Marot, ancien aubergiste de ce lieu ; il (le procureur)auroit appris par la rumeur publique que le jour d’hier 18 du courant, ledit Marot et laditte Maret auroient donné de l’argent à Joseph Protois Manœuvre audit lieu et à sa femme pour porter ledit enfant ; et que leur absence n’a été tout au plus que de 30 heures et que ledit enfant est disparu. Comme toutes les manœuvres ne peuvent donner que des idées sinistres et facheuses sur le sort de cet enfant, que par etat vous devez veiller non seulement à la tranquilité mais a la sureté de chaque citoyen, et que ceux qui peuvent le moins se deffendre ont plus droit a votre protection. A ces causes requiert que par forme de police vous ayez a mander dans la salle de votre greffe, par votre sergent ordinaire laditte Maret, ses complices fauteurs et adhérant, qu’ils ayent a vous representer ledit enfant, ou décharge valable et en bonne forme et faire dresser sur vos régistres procès verbal de leurs dires et réponses, pour le cas échéant copie en etre renvoyée au procureur du roi ou à son substitut, pour prendre telle conclusion il croira bonne être. Donné audit haréville le 19 mars 1790. Moutenot p. d. l. (procureur du lieu).


              On peut noter que la rumeur publique, qui s’étant inquiétée de la disparition du petit Pierre, demandait des comptes aux responsables. Bien informée, elle disait que la veille, François Marot et Marie Maret avaient donné de l’argent à Joseph Protois et à sa femme qui s’étaient absentés une trentaine d’heures pour emmener l’enfant.


              Le lendemain 20 mars 1790, les représentants de la commune répondent à la requête de l’abbé Moutenot et ordonnent la comparution des quatre personnes mentionnées afin qu’elles s’expliquent sur la disparition du nourrisson.


    20 mars 1790, 9 heures, comparution de Marie-Anne Bourdot, femme de Joseph Protois. Elle a dit que Mardi dernier et à l’instant a dit Mercredi elle est son mari que françois Marot ancien aubergiste dudit lieu leur avait donné la somme de 15 francs pour porter l’enfant de Marie Maret et le placer ou ils pourroient que le jeudi 18 du courant elle seroit parti elle et son mari et auroient déposé ledit enfant dans une allée qui sépare le jardin du château de Broutière et un petit bois qui est au bout dudit jardin, qu’un instant après la damme dudit château se promenant dans laditte allée auroit ramassé ledit enfant, surquoi lui ayant demandé s’y elle avoit une décharge en Bonne forme dudit dépôt elle nous a repondû que non et qu’ils s’etoient bien gardés de se montrer et se faire connoître à la ditte dame. Lu et relû et la ditte Bourdot à persistéé et a dit icelle déclaration contenir vérité et a déclaré ne savoir signer de ce interpellée. J. Fouriot, Nicolas Robert, François Messagé.


    20 mars 1790, 10 heures, comparution de François Marot. On lui demande de dire dans quel vue et dans quel désire il auroit donné 15 francs au dit Protois et sa femme, il nous a répondu qu’il n’avoit donné que 12 francs et que les 3 autres livres étoit de Marie Maret, qu’il l’avoit fait par charité et par compation pour laditte Maret et parce qu’autrefois elle avoit été sa servante, et que quand au reste qu’il ne prenoit aucune part à l’enlevement de l’enfant. Lu et relû la présente déclaration et y a persisté à déclaré ne pouvoir signer a cause de la faiblesse de sa vue. J. Fouriot, françois messagé, Nicolas Robert, Prudant Pierrot. J.B Hubeaux secrétaire greffier.


              On a donc donné 15 francs (ou 15 livres) à Joseph Protois et à sa femme pour placer l’enfant ou ils pourroient. Il n’était donc pas question d’abandonner purement et simplement l’enfant mais de le placer, c'est-à-dire lui assurer la  prise en charge et la survie par autrui. Mais il manquait la fameuse « décharge », c'est-à-dire un papier, si possible officiel, attestant les faits par une personne autorisée, (Joseph Protois et sa femme s’etoient bien gardés de se montrer et se faire connoître...) Ils avaient déposé l’enfant dans une allée qui sépare le jardin du château de Brouthières et un petit bois. Ce château, toujours habité, est situé à une trentaine de kilomètres d’Harréville. Le nourrisson de deux mois et demi a donc été porté sur cette distance dans la seconde quinzaine du mois de mars, puis déposé dans une allée. Heureux hasard, la châtelaine s’est promenée un instant après dans l’allée et a ramassé le bambin !!...

    La somme de 15 livres représentait une somme non négligeable pour Joseph qui était manœuvre. (Une livre valait 20 sols ou 240 deniers). A titre indicatif, le 14 avril 1790, les officiers municipaux avaient fixé le prix de la journée de travail à 20 sols, soit une livre !) On peut noter au passage le ton condescendant de François Marot qui dit qu’il n’avait donné que 12 livres par charité et par compassion pour Marie Maret qui avait été autrefois sa servante et qu’il ne prenait aucune part dans l’enlèvement de l’enfant. En outre, c’est sa mauvaise vue qui l’a empêché de signer !!


              Le même jour, on convoque au greffe Marie Maret et Joseph Protois qui sont absents du village. On lui (le sergent Hubert Drouot, chargé de la police)avoît répondu que les dits ètoient en campagne. Ils ne comparaîtront qu’à leur retour, le mardi 23 mars 1790.



    Sources



    *Lexique historique de la France d’Ancien Régime,Guy Cabourdin, Georges Viard, 2ème édition 1981 Armand Colin p. 121. Lexiques U.


    Registre municipal, greffe de Harréville, 8 juin 1788 au 21 mars 1793


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