• C'est toujours un plaisir de lire sur le net des articles consacrés à notre village mais , là on peut dire, sur son village puisque l'article repris cidessous est écrit par Jean Pelletier que de nombreux Harrévillois connaissent .

    Merci pour ce moment de nostalgie, nous aussi nous l'aimons.

    En version originale :Harréville les chanteurs, un village français

    en copie :

    Les chiens ne faisant pas des loups, l’histoire de mon village n’est pas sans liens avec ce que le petit garçon à la bicyclette bleue est devenu plus tard, comme l’atteste ce qui va suivre.

    Il faut remonter jusqu’au lointain Moyen Age, en l’an 904, pour trouver le premier document religieux faisant état de l’existence d’Harréville, qui ne prit le nom d’Harréville-les-Chanteurs qu’en 1907.

    C’est un bien joli nom, tout aussi étrange, évocateur que poétique. Il le doit à une partie de son histoire ancrée dans le dix-neuvième siècle, illustrée par les célèbres chanteurs de Saint Hubert, marchands drapiers, vendeurs d’images saintes, montreurs de marionnettes et d’amulettes. Bref un village d’artistes… qui résonne de manière prémonitoire à ce que fut mon propre engagement.

    Un village de nomades, un village qui bruit du doux son des voyages. En 1770 des documents officiels font état de 30 chanteurs, 21 marchands roulants et 10 colporteurs. Harréville a eu aussi ses fondeurs de cloches.

    Bref un village de vagabonds, de colporteurs migrants qui mettaient en mouvement mon imaginaire d’enfants. Car j’entendais maintes fois raconter cette histoire là autour de la table familiale.

    Certes, ils n’avaient pas bonne réputation, vendeurs à la sauvette, toujours à la recherche de quelques sous, ils n’hésitaient pas à chaparder ici et là, quand le Seigneur ne leur avait pas accordé une bonne journée. Il fallait bien compenser la pingrerie des uns et des autres et puis il fallait tout simplement vivre, survivre ….

    Que vendaient-ils ? Essentiellement de la bimbeloterie composée de médailles religieuses et autres colifichets brillants et étincelants.

    Pendant qu’ils voyageaient, leurs femmes et leurs enfants restaient au village, survivant à peine à leurs besoins. C’est bien la pauvreté qui les jetait ainsi sur les routes de France. Les Harrévillois ont été de grands voyageurs devant l’Eternel. Nombre d’entre eux n’ont pas hésité à abandonner leur mère patrie pour s’expatrier dans des contrées bien lointaines.

    Par les voyages, ils ont acquis un certain regard sur le monde et les gens. A une période de l’histoire où la population était particulièrement sédentaire et arcboutée sur ses traditions, ancestrales, les Harrévillois, en parfaits routiers qu’ils étaient, parlaient déjà les langues du monde et pratiquaient la diversité, l’ont-ils transmis à leurs lointains héritiers ?

    Je ne sais pas, par contre, il y a tout de même une histoire à raconter qui atteste de la réputation particulièrement hospitalière des Harrévillois.

    Le village fut le territoire d’importantes batailles lors de la première guerre mondiale, ainsi que de la Seconde. C’est une terre de sang et de larmes.

    C’est au cours du mois de juillet 1921 que le maire du village reçut une étrange correspondance en date du 9 juillet 1921. La lettre du consul de France aux USA accompagnée d’une bien belle lettre en américain, suivie de 102 signatures, 102 officiers et soldats américains. Je vous la livre telle qu’elle, elle parle d’elle même.

    « Nous, la société des anciens Officiers et soldats du 104ème R. I. de la 26ème Division Américaine, réunis dans la ville de Cambridge, Massachussetts, États-Unis d’Amérique, assemblés pendant une journée brève en souvenir de notre service dans la belle France avec les Forces Expéditionnaires Américaines, vous présentons nos salutations les plus cordiales pour vous faire savoir que nous retenons toujours en mémoire les jours passés auprès de vous, des jours dorés par votre amitié, de sorte que notre sentiment pour vous devient de plus en plus profond à mesure que passent les années.

    Nous ne vous oublions pas, que vous soyez réunis dans vos foyers, que vous soyez autour de vos tables pour prendre le repas journalier ou que vous fassiez vos révérences devant vos autels, pensant peut-être à vos amis américains, vous demandant si nous pensons à vous, oui, nos bons amis, bien sûr, nous pensons à vous. Nos pensées traversent la mer pour vous retrouver; et, encore une fois, dans l’âme, nous nous promenons dans vos rues, nous sommes assis devant vos cheminées, acceptant votre hospitalité.

    Veuillez recevoir, alors, nos bons amis, cette salutation du fond du cœur, car nos prières, nos sympathies, oui, même notre amour y est. »

    (Traduction donnée par M. le Capitaine Hartwell).

    C’est au Commandant Camille Lomon que nous devons ce témoignage, lui qui prit sa retraite à Harréville-les-Chanteurs et qui prit le temps d’y réunir témoignages et souvenirs, comme je le fais aujourd’hui.

    La conseil municipal fit une belle réponse le 17 novembre 1921 dont je retiens la simple phrase :

    « Que la vie serait belle et féconde si chaque collectivité humaine faisait naître de semblables courants de chaude et bienfaisante sympathie. »

    Tout ceci se passe de commentaires et atteste de l’originalité de ces villageois, emprunts d’une profonde humanité.

    Mais ils doivent leur célébrité à une compagnie de montreurs de marionnettes célèbres au 19ième siècle, installée, en résidence comme l’on dirait aujourd’hui à Harréville-les- Chanteurs. Ceux-ci produisaient un spectacle de marionnettes géantes (bien avant le Bread and Pupett Circus Band) interprétant la Passion du Christ.

    On raconte qu’ils le faisaient avec un fort accent haut marnais et jusque devant la cour de l’empereur Napoléon III. C’est à la famille Collignon que l’on doit cet héritage théâtral. Ma famille étant liée du côté de ma grand mère paternelle aux Collignons, j’ai souvent entendu mon père raconter avoir joué dans les greniers de la ferme avec certaines de ces poupées géantes. Malheureusement à ma connaissance elles ont toutes disparues.

    Harréville-les-Chanteurs est littéralement coupée en deux par la Meuse qui délimite vaguement la frontière entre la Haute Marne et les Vosges, mais aussi la Lorraine et la Champagne-Ardenne. Village d’espaces voyagés et village de frontières, la commune s’étend sur 15,8 km2. Elle a connu dans le passé un important peuplement, jusqu’à 755 habitants au recensement de 1831. Aujourd’hui elle n’en compte plus que 275 !

    Ses voisines sont Liffol-le-Grand, connues pour ses fabriques de meubles, Bazoilles pour ses « pertes de la Meuse » par les géographes, Pompierre et… Goncourt, illustre pour avoir été le berceau de mon père (prés de la laiterie) et surtout des frères Goncourt.

    Je disais donc que le village en cachait deux. J’appartenais au deuxième village, celui qui n’avait ni la mairie, ni l’église, juste les ruines de l’ancien prieuré, marqué par un magnifique Calvaire. Le premier village dépendait d’ailleurs de l’Abbaye de Saint Mihiel. En 1789 les habitants de la rive gauche (le 1er village) étaient rattachés au diocèse de Toul, ils avaient pour paroisse l’église Saint Germain, le peuple de la rive droite avait, lui, son prieuré.

    Le village du haut était traversé par la route dite impériale n°74, puis la grande nationale N 74 (reclassée depuis départementale 74) qui fût celle des migrations d’été. Je me souviens petits d’y avoir vu les caravanes cul à cul dans d’immenses bouchons d’aoûtiens. Aujourd’hui la construction d’une autoroute un peu plus loin a définitivement scellé un grand silence autour du village, qui a ainsi retrouvé toute sa dignité passée.

    Il faut savoir aussi qu’une ancienne voie romaine (la voie impériale de Divodurum – Metz à Andematunnum – Langres par tullum - Toul) passe aussi par le haut du village, important passage aussi pour les populations de l’époque. Et son évocation, dans mon enfance, me faisait une grande impression, d’autant plus que l’on trouvait aussi sa trace à Bazoilles et à Goncourt.

    J’imaginais à grand renfort d’histoire, les romains sur leurs chars, tirés par d’époustouflants chevaux noirs, et toutes ces allées et venues me donnait le tournis.

    Géographie et histoire racontent l’histoire d’une commune à l’écoute de son temps et ouverte sur son espace naturel.

    Cette ouverture, elle l’a payé en 14-18, ses bois sont encore coupés de murets et de tranchés qui racontent cette histoire là, le monument au mort de la guerre 14-18 déplacé en 2005 derrière la mairie porte la longue liste des enfants du pays morts pour la France. Toutes les familles du village y ont leurs morts.

    Mais celle de 1940 traversa aussi cruellement le village. Le 12ième régiment de tirailleur sénégalais y fût massacré le 19 juin 1940 en tentant d’arrêter l’avance allemande. Là aussi, un monument au mort, érigé suite à l’infatigable lutte du Commandant Lomon, se dresse à l’écart du village, en face de ce qui fût la gare SNCF du village. Ce monument fût inauguré le 6 juillet 1958, six années après ma naissance.

    Notre maison est justement située sur l’allée de la gare, plus précisément la rue des Marronniers. Dans nos villages lorrains, les gares sont toujours à l’écart des villages. Le train alors avait mauvaise presse. On racontait alors dans la bonne presse populaire que le chemin de fer allait tuer les vaches dans les près, et que le corps de l’homme ne résisterait pas à sa vitesse … cela ne s’invente pas.

    Je revois justement , encore le petit peuple du train passer à l’aller et au retour devant notre maison, seuls instants où cette voie connaissait un peu d’animation. Parfois j’accompagnais aussi ma grand mère jusqu’à Neufchâteau avec la « micheline » comme on disait alors.

    Il y avait aussi la barrière un peu plus loin, qui gérait le passage de la voie ferrée pour se rendre à Pompière. C’est une nièce de ma grand-mère qui y habitait avec son mari et ses enfants, lesBadoinots, le père, René, a été le maire du village durant de nombreuses années, il est enterré tout près de mon père. On a donné son nom à la salle des fêtes du village ; je jouais souvent avec ma petite cousine Nicole et les promenades sur le lieu dit « Le Mont » ont été innombrables. C’est une longue montée bordée de noisetiers sauvages qui débouche sur un vaste plateau couvert de blés blonds et ondulants l’été et descend vers le village de Pompierre.

    La gare a été rasée et la maison garde barrière aussi, rasés…sans que l’on me demande mon avis.

    L’église d’Harréville a été aussi longtemps le centre de mes préoccupations, messes et cérémonies religieuse y rythmaient les jours. Le Curé, car il y en avait un à cette époque, était un personnage qui suscitait quolibets et moqueries de notre part.

    Ma grand mère Marthe nous imposait d’aller à la messe chaque dimanche, bien que je n’ai aucun souvenir qu’elle ne nous y ait jamais accompagnés.

    C’était pourtant une joie simple, cette assemblée religieuse dans une petite bâtisse, sans prétention, avec ses statues de plâtres et sa voûte tout en bois. Parfois, à l’occasion de la célébration de la Saint Germain, patron de l’église, nous sortions en cortège dans le village en portant des bannières toutes en couleurs et enrubannées. Je me souviens que c’était le jour de la fête communale, le premier dimanche d’août. Elle partait de la maison de Germain Jondot, tout à côté de celle de Berthe Bickel …

    Pour les baptêmes il y avait à la sortie de la cérémonie des jetées de pièces de monnaies qui ravisaient notre convoitise. Certains dimanches particuliers, la communion était suivie d’une distribution de morceaux de brioche bénies, j’en ai encore le souvenir précis de leur goût sucré dans la bouche.

    L’église est dédiée à Saint Germain. Son chœur actuel remonte au 13ième siècle, avec des voûtes refaites au 16ième siècle. Quant à la tour du clocher et la nef, elles ont été rebâties peu avant la Révolution Française. Mais on relève l’existence d’un site plus ancien, puisqu’il est fait mention de cette église dans un titre remontant à l’an 904. C’est au cours du siècle suivant que la cure prospéra. L’Abbé de Saint-Mihiel y fonda un prieuré dans lequel il déposa le corps de S. Calixte, pape et martyr qu’il avait rapporté de Rome.

    Cette installation à Harréville, il la relate en ces termes et je ne saurai mieux décrire mon village et ses environs immédiats, qui bien des siècles après n’ont pas changé :

    « À cet endroit il y a une vallée qui s’étale entre deux hauteurs ; les côtés, étirés sur une longueur d’un stade et distants l’un de l’autre de deux jets de flèches, définissent la largeur de la vallée entre eux.

    Quant à la longueur, sur une distance égale d’un stade, deux collines opposées la déterminent de part et d’autre, assez proches du versant nord et pas plus éloignés du versant sud que de la place laissée au lit de la rivière coulant en contrebas. Ainsi on découvre un carré de hauteurs, protégé par les fermetures de la vallée. La Meuse court au milieu, elle embellit la surface voisine par la verdeur des prés.

    Quant aux espaces assez retirés qui s’étendent du côté des hauteurs, ils se prêtent à l’agriculture et au jardinage. Sur le versant nord, qui n’est pas raide mais qui descend en pente douce sur toute la largeur des champs, à la limite de la pente et de la vallée, se trouve le dit village avec son église Saint-Germain.

    Le versant sud est raide et se dresse vers le haut, allongé en ligne droite, splendide à cause de l’égalité de sa hauteur, couvert d’une agréable et épaisse forêt de hêtres. Quand sa partie basse en pente atteint la vallée, elle s’élève du fond du val par une sorte de haute terrasse ; au milieu de cette terrasse se dresse un rocher, sous lequel jaillit une source agréable et abondante en eaux douces ; au-dessus se trouve un chemin accessible aux passants et au-dessus du chemin, de nouveau par une terrasse, la terre s’élève et s’étend en une plaine des plus favorables, en haut de laquelle sourdent quinze sources à la suite ».

    A suivre….. La ferme Saint Joseph


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