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J’ai passé mon enfance, du moins une partie, aux confins de la Haute-Marne et des Vosges au bord d’une rivière magnifique : la Meuse. Ce long fleuve qui s’écoule à traverse la Lorraine, long de 950 km, traverse la Belgique, puis les Pays-Bas pour se jeter en mer du Nord. Mais à quelques dizaines de kilomètre de sa source, elle se présente comme une douce rivière, aux crues parfois insolentes. Ce point de références porte de plus un nom un peu extravagant : Harréville-les-Chanteurs. La Meuse, fleuve, ici encore rivière se prête un peu plus loin à quelques facéties : « Les pertes de la Meuse »,elle s’infiltre d’un seul coup pour disparaitre et resurgir à quelques pas de là. C’est à Bazoilles, village voisin qu’elle nous fait le coup de l’absence, pour réapparaitre bienveillante à Neufchâteau.
Bref, tout comme les hirondelles, aujourd’hui raréfiées, la Meuse a dessiné à la fois, de part et d’autres de mon village, une vallée rythmée de fosses, de gués et de petits courants, mais aussi une histoire tout court. C’est une longue ballade en compagnie d’amis et de fantômes, qui pour la pêche (à la ligne ou à la main…), qui pour la baignade à la fosse à Totor, qui pour conforter ici et là un barrage ou un passage pour améliorer un gué. Les prairies et les coteaux tout proches de la rivière bruissent de nos passages enfantins et de nos rires perlés, qu’étouffent à peine les sous-bois. Jeux de piste, cabanes dans les arbres, trésors de pacotille enfouis sous les mousses, montée du « mont » le courage au cœur pour s’éloigner de la rivière mère de toutes les batailles et passer le petit col pour marcher enfin jusqu’au village voisin au nom charmant de Pompière et sa rivière rivale le Mouzon.
Bref, le remord, et c’est le retour à pas cadencés au « cœur » de notre existence, la Meuse. J’aime ce fleuve, il porte aux hasards de mes pas, le souvenir de ces rencontres fortuites avec les canards de ma grand-mère. Libres comme le vent, ils allaient chaque jour à la rivière pour s’en retourner le soir venu à leur pastoral logement à deux pas de la grange familiale. C’est un univers qui bruit sagement du temps qui passe et porte un regard bienveillant sur ces générations qui, le temps de l’enfance, viennent s’y essayer à la vie.
Si aujourd’hui, je jette un regard sur cette vallée, mon cœur s’emballe, je n’y reconnais plus grand chose, les joncs propice à la pêche à la main ont presque tous disparu, l’étalement des nénuphars et leurs fleurs en étoile jaune se sont fait discrets, les herbes ondulantes des courants se sont étiolés, et les bords de l’eau si peuplés autrefois (ragondins, poules d’eaux, hérons pourpres et martin pêcheurs etc..) sont désormais silencieux.
Un responsable : celui-là même qui régit la symphonie de mes souvenirs, l’homme… Un homme qui aurait perdu le fil de sa vie, un homme sans horloge solaire, un homme qui ne voit ni le Nord, ni le Sud, un homme pour qui les nuages ne parlent pas, un homme sans aurores, ni couchers de soleil, un homme toxique.
Il est dit que ce sont bien les pesticides (invention du même homme) qui perturbent, troublent, effacent bien souvent cette biodiversité qui s’éteint au crépuscule de ma vie.
Plusieurs chercheurs ont analysé le fait et conclu à la responsabilité humaine dans la disparition de 42 % des populations d’insectes, mouches, libellules et d’une manière plus générale autres forme de vie des sources, ruisseaux et rivières. Ces chercheurs,sont Mikhail Beketov du Helmholtz Centre for Environmental Research à Leipzig en Allemagne et Ben Kefford de la University of Technology à Sydney. Ils ont établi le lien entre présence de pesticides et mise en péril de la plupart des espèces dépendant de la chaine alimentaire de ces insectes.
C’est ainsi que nous concluions, il y a peu à la disparition partielle des hirondelles. L’agriculture industrielle, l’élevage forcé, les forces internationales du marché ont pesé sur les jardiniers de nos paysages que sont les paysans. Parfois ils en payent directement le prix, l’usage des ces produits toxiques ont multiplié toutes les formes de cancer.
Poissons, oiseaux et libellules, animaux des forêts si présents et familiers se sont presque tous enfuis… je le voie à l’aune de ma vie, sans études scientifiques. Il me suffit de regarder avec au cœur une tristesse sans nom, ces paysages de mon enfance qui peu à peu se « simplifient », d’un vaste concert de couleurs et de formes, ils filent, courbés, jusqu’à finir en lignes qui se perdent juste en un seul point du monde. L’homme toxique avance à grand pas, il s’est emparé de la faux de ses ancêtres et marche au milieu des blés, mais l’orage approche, obscurcissant l’horizon d’encres noires et profondes. C’est la grande faucheuse qui s’annonce sans cris…
J.PELLETIER
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