• RIXES A HARREVILLE (troisième partie)

     Rixes, vols et autres incivilités (3)

     

     

              Les plaintes au greffe consécutives aux rixes aboutissaient exceptionnellement sur le bureau du juge à Bourmont comme le relate le premier article de cette thématique. Les mésententes interfamiliales étaient parfois rapportées au greffe de la commune et on s’en tenait là (voir l’article précédent). D’autres fois, la colère s’évaporait, quelquefois avec les vapeurs d’alcool, et la raison revenant, les parties se rabibochaient. Le greffier consignait consciencieusement la chose, annulant le lendemain ou le surlendemain la plainte faite à chaud la veille ou l’avant-veille. En voici une illustration avec les deux affaires ci-dessous.


              1) Affaire Jeanne Françoise Fouriot.


              Le 1er mai 1770, alors qu’elle se trouvait vers les 9 heures, assise auprès du feu chez la famille Lironcourt, Jeanne Françoise Fouriot (femme de Nicolas Bas le jeune -[qui a déjà fait l’objet des deux articles précédents]- alors soldat dans la légion royale) s’est fait tabasser par Etienne Bienfait minier* demeurant à Harréville. Son père Jean Fouriot porte les faits au greffe : Du premier jour de may 1770 est comparû au présent greffe le sieur Jean fouriot admodiateur** général du prioré (il s’agit du prieuré st. Calixte) et domaine d’hareville lequel nous ayant remontré que le nommé Etienne bienfait minié demeurant au même lieu et auroit maltraité françoise fouriot fille dudit fouriot ce jourd’huy sur les 9 heures du matin sans sujet ni provocation de sorte que s’etant trouve hors d’etat de comparoître au greffe nous (le greffier et Jean Fouriot) etant presenté dans la maison de hubert lironcourt dans laquelle etoit laditte françoise fouriot dans un lit laquelle nous ayant fait plainte que ledit bienfait l’auroit maltraité etant assise auprès du feû dudit Lironcourt et lauroit frappée a grand coup de son fusil et meme lauroit mis en joue lui disant faut que je te tue S.B de pûtain et layant tellement maltraité quelle se trouve immobile et obligé de saliter et ce fait en présence de la femme dudit lironcourt et de Jeanne lironcourt sa fille et de Jean Lironcourt et différens particuliers du lieu qui ont accourû au bruit, et le même bienfait ayant dit a laditte fouriot que quand elle (=il)la tueroit quil auroit sa grace motif de la ditte plainte ...


              Jeanne Françoise Fouriot s’est donc fait frapper à coups de fusil, a été mise en joue, a été menacée de mort et traitée de putain devant témoins dans une maison qui n’était pas la sienne par Etienne Bienfait. Bien évidemment, on ne connaîtra jamais les raisons de ce coup de sang.


              Deux jours plus tard, le 3 mai 1770, Etienne Bienfait va s’excuser publiquement et payer un dédommagement d’un louis d’or valant 31 livres et un autre  louis pour frais de justice et pour le chirurgien venu ausculter la femme, somme assez considérable pour l’époque. (Une livre valait 20 sols). A titre d’exemple, voici les gains journaliers en 1790 : un faucheur 16 sols, un moissonneur de blé 10 sols, un laboureur 1 livre et 12 sols.


    ... lesquels J fouriot et françoise sa fille ont bien voulu par compassion et charité transiger avec Etienne Bienfait au sujet de la plainte cy dessus d’autre part assisté de françois Messagé maire royal et Germain Chodron sindic audit lieu, lequel Etienne Bienfait retracte toute les paroles injurieuses qu’il a proferé en maltraitant laditte françoise fouriot qu’il lui en demande excuse de ?? quaudit J fouriot son père et damlle Anne Gilbert sa mère et françois Etienne fouriot son fils lequel bienfait se repentant davoir proferé les termes expliqué cy devant [...]Il promet en outre de ne pas récidiver et les dits J fouriot et dlle son epouse nont voulus aucun domage et interet pour laditte françoise leur fille, ont remis les dommages et interets entre les mains de françois messager maire pour etre distribué par le dit maire aux pauvres de la paroisse....

              Outre le louis d’or qu’il vient de donner à la commune, Etienne Bienfait devra également donner un louis tant pour frais de justice que visitte et raport du sieur quentin lieutenant et chirurgien juré du roy lesquelles sommes ont été payés contans (comptant) par le dit bienfait et qu’en outre a dit et déclaré être content et satisfait des bontés que ledit sr. fouriot auroit eu pour lui par compassion et ne voulant continuer aucune procédure contre ledit bienfait qu’en cas de rèsidive et qu’en outre il sera mis une expédition (un double) entre les mains dudit fouriot ...


              Etienne Bienfait a payé très cher son agression qui lui a coûté 2 louis. Jean Fouriot avait entre temps fait appel au chirurgien de Bourmont pour faire examiner sa fille et pour engager une démarche en justice. Il était un homme disposant d’un certain pouvoir en tant qu’admodiateur général des biens du prieuré et du domaine d’Harréville. Il faisait partie des gens les plus riches du village. C’était un notable. On notera au passage qu’il a usé de compassion (le mot est employé deux fois) et de charité envers Etienne Bienfait, qu’il a ostensiblement fait preuve de générosité en offrant aux pauvres le louis de dédommagement, qu’il a humilié Etienne Bienfait en recevant ses excuses devant un public composé de sa famille, du maire et du syndic et en faisant noter qu’Etienne Bienfait a déclaré être content et satisfait des bontés qu’il auroit eu pour lui par compassion en lui faisant accepter une sorte de sursis (ne voulant continuer aucune procédure qu’en cas de rèsidive) imposé par Jean Fouriot qui entendait faire payer l’agression subie par sa fille au prix fort.


    *Minier. Etienne Bienfait était minier, c'est-à-dire qu’il extrayait le minerai de fer qui s’était déposé par ruissellement le long de la Meuse. La fonderie la plus proche se trouvait à Bazoilles.


    ** Admodiateur, amodiateur. Jean Fouriot administrait les biens du prieuré et sans doute d’autres propriétaires possédant des terres sur le territoire de la commune.


              2) Affaire Nicolas Fondrion.


              Le 23 juillet 1775, vers 19h 30, Christophe Fondrion se rend chez son beau-père. Sur son chemin, il est témoin d’une bagarre : Félix Maulbon, Jean Chrétien et Joseph Pereil, tous trois avinés tabassent le laboureur Nicolas Morel le jeune devant la maison de Charles Garnier. Christophe Fondrion essaie de les séparer aidé du maire Prudent Pierrot qui se trouve également sur place : S’etant ledit fondrion aproché pour défendre et pour metre ordre a ce bruit et scandale en presence de prudent piero maire audit lieu qui voulant aussy metre ordre et imposer le silence sapercevant que lesdit chretie, et mobon et pereil avoit du vin comme sortant de chez françois marot laboureur audit lieu setant ledit pereil jette (=jeté) sur ledit fondrion lauroit maltraité ainsy que la femme de claude Guillery sa mere et vigoureusement et inhumainement de sorte que ledi fondrion et tout ensanglanté au visage des coups meurtries (= meurtriers = qui meurtrissent) [...]

              Nicolas Morel ainsi que la femme de Pierre Guillery ont joint leur plainte à celle de Nicolas Fondrion. Le greffier a également noté que le maire avait trouvé et rapporté un chapeau perdu au cours de la rixe que Christophe Fondrion a reconnu comme étant le sien. Le maire qui n’a pas reçu de coups s’était fait copieusement insulter par les trois trublions : ... le dit chretien et asosiez (associés) ayant aussi donne plusieurs insultes audit maire pour vouloir metre ordre a leur different, lui disant de quoi il se melait et quil pouvoi saller faire foutre...

              Le lendemain les deux principaux plaignants Christophe Fondrion et Nicolas Morel le jeune sont venus retirer leur plainte après avoir trouvé un arrangement avec Félix Maulbon, Jean Chrétien et Joseph Pereil. : Du 24 juillet 1775 sont comparu au present greffe christophe fondrion et nicolas morel le jeune, habitans dudit lieu lesquels declarant que la plainte cy devant faite par datte du jour d’hier et par arangement avec les autres parties a lamiable et tous frais ont consenti que laditte plainte restera pour non recevable et naura nul effet entre les parties et contre les particuliers auxquels laditte plainte auront été faite ...

              Une petite ambiguïté dans l’expression par arangement avec les autres parties a lamiable qui pourrait peut-être inclure également la plainte pour coups et blessures de la femme de Pierre Guillery et celle concernant les insultes proférées au maire.


    Source AD 52 E dépôt 718.                             Marcel Frantz

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